Voyage au Liban

16 avril 2007

Se souvenir

Pourquoi ne pas avoir mis mes photos plus tôt? Sur la route de Saïda, en allant au sud-Liban. Voici un des nombreux ponts explosés par les tirs israéliens de juillet 06. Les travaux de reconstruction avancent à pas de fourmi sur les axes principaux, quant aux autres routes...on pourra attendre encore longtemps

Ceci n'est pas une plaine ou un terrain vague. Ici il y avait des maisons, plein de maisons d'habitation et nous sommes dans un tout petit village du Sud, Siddiqine. Totalement rasé, comme beaucoup d'autres villages martyrs... Un souvenir de cette place reste en moi, invisible... C'est l'odeur. Une chose inabordable par l'ordinateur. L'odeur de la mort flottait encore. Les restes d'un immeuble n'avaient pas encore été retirés et l'odeur de chair morte nous donnait envie de vomir...

Les bords de la route, tout au long des routes, pendant des kilomètres. D'anciennes maisons pulvérisées...


Ici c'est au village de Qana, là où le deuxième génocide a eu lieu. Plus d'une centaine de femmes et d'enfants on été tués dans des bombardements. Voici ce qu'il peut parfois rester d'une partir d'immeuble. C'est à peine croyable, mais des gens vivent à "ciel ouvert" bien malgré eux. Il n'y a pas de dispositions bien précises, aucune prise en charge par le gouvernement libanais. C'est le Hezbollah qui finance et "dédommage" tous les habitants concernés par la destruction de leurs habitations...



Il est bien triste de devoir se souvenir de tout cela, alors que pour des dizaines de milliers de libanais, pour ne pas dire près d'un million, cette désolation fait partie de leur quotidien et de leur vie...
Alors que certains, dans le pays voisin, commémorent la Shoha, qui s'est produite à des dizaines d'années de là et à des milliers de kilomètres, moi je décide de rappeler au monde que ces mêmes gens ont causé la destruction et la mort, non pas d'une ethnie mais bel et bien d'un pays, ce Liban martyrisé par Israël déjà dans la guerre de 1982 à 1990, qui a continué de façon insidieuse jusqu'au retrait des troupes en 2000 et qui par un esprit de haine a refrappé, encore plus fort cette fois, en juillet et août 2006.
Alors souvenons-nous de ces douleurs intestines que le Liban a dû subir il y a 8 mois, souvenons-nous des blessures encore ouvertes causées par les bombes des Israéliens et surtout, souvenons-nous que tous les jours des enfants libanais sont mutilés, voire tués par les bombes à sous-munitions envoyées par Israël dans les champs d'oliviers, d'orangers.
Souvenons-nous que demain encore ces bombes deviendrons des mines anti-personnelles pour des civils qui demandent juste à avoir le droit de vivre.




Se remettre en appétit

Et bien je dois avouer que mon retour au Liban se rapproche. D'ici une dizaine de jours je serai à nouveau replongée dans le chaos, la crise politique, les différences culturelles, l'incertitude d'une guerre promise par Israël l'année dernière pour achever le Liban, bref, le Moyen-Orient comme on l'aime et comme on le déteste en même temps.

Mais retrouver les rues poussiéreuses et l'incivilité des conducteurs libanais me manquent tout autant que cela puisse sembler. C'est vrai que ces derniers temps j'oscille entre "je veux pas y aller" et "j'en ai marre de la suisse", bon, et bien pourquoi pas partir en Guyane alors, c'est un bon compromis, non??

Pourquoi tant de sentiments qui me déchirent? Je suis tiraillée entre l'Orient et l'Occident. J'ai besoin des deux sans pouvoir m'établir dans l'un ou dans l'autre. Je sais que si mes études me poussent en Orient pour l'instant, c'est que ma place est aussi là-bas, mais en même temps, j'ai le pouvoir de décider et choisir ce que je préfère. Or j'en suis vraiment incapable pour l'instant.

Un pas en avant, deux pas en arrière...

Après ces 3 mois passés en Suisse, je me suis réhabituée à une vie bien paisible. J'ouvre la fenêtre de ma chambre et je vois le lac, en entendant les oiseaux gazouiller. Je regarde les fleurs pousser et là je me dis : je peux enfin respirer, je peux aller courir dans le champs d'en face sans avoir peur de sauter sur une bombe à sous-munitions... Et là je me rends compte à quel point un épisode a priori quotidien et anodin en suisse n'a pas la chance d'exister de la même façon au Liban.

C'est à ce moment que je prends conscience de la chance que j'ai ici mais surtout, à quel point j'ai besoin de retourner là-bas...