Voyage au Liban

05 décembre 2006

Après un mois de silence

5 déc. 06

Honte à moi mille fois. Quelle négligence de ne pas donner de nouvelles...

Mais je ne sais pas vraiment pourquoi. C'est vrai que tout à coup je n'ai plus écrit, je n'avais plus le courage, plus l'envie... Une sorte de lassitude aussi.

Et puis j'avais des problèmes de colocation, j'ai déménagé, ça devenait impossible à vivre. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais voilà, il a fallu que je cherche un appart, encore, et j'ai trouvé! Je suis seule et bien tranquille pour bosser et ne pas me prendre la tête avec des gens hystériques, sales et tyranniques de surcroît... Comme ça vous savez.

Alors vu que j'étais tellement mal, je n'avais plus aucune énergie, même pour répondre aux mails perso que je recevais. Il faut reprendre du poil de la bête et foncer.

Aussi, pendant le mois de novembre, je n'ai fait qu'une balade... au Sud Liban... Je voulais absolument écrire ce que j'ai vu, ressenti et mettre des photos. Mais je n'avais même pas le courage d'écrire! Vraiment un problème; blocage du cerveau ou paresse infinie je ne sais pas.

Peut-être trop de tristesse en voyant tous ces villages rasés, détruits...

En allant par Saida, puis Sarafand, Qana, Siddiqine, Ainata et Bent Jbeil... toujours plus d'horreurs sur les routes, toujours plus de souffrances, on s'avance dans un autre monde. Loin de Beyrouth, la grande soeur qui reprend son souffle et prend ses soeurs par la main en disant "Courage, on va y arriver"... oui, bien loin. Une autre réalité, une réalité irréelle de part sa souffrance et son isolement.

A Qana, j'ai vu l'emplacement du deuxième massacre israélien, après celui de 1996. Et là, sous une pluie battante, les photos des enfants, de quelques femmes et de deux résistants... tous mort. Et la pluie qui ne cesse de pleurer sur leurs tombes, qui déverse sa tristesse des mois plus tard, après ces massacres ensoleillés de l'été.

Et puis le village de Siddiqine, peut-être encore un des plus morbides. et pour cause, certains immeubles et maisons détruits n'ont pas été déblayés. On y trouve une chaussure d'un côté, une chaise cassée de l'autre, des vêtements souillés, éparpillés. Pire...l'odeur. L'odeur de la mort qui règne en maître, une odeur insupportable, à faire vomir ses entrailles. Je ne pouvais plus respirer. Tous ces corps qui doivent pourrir sous les décombres...

Combien? Qui? Pourquoi?

Des enfants prenant leur goûter peut-être, une vieille dame regardant la télé, une mère de famille préparant les mezze ou épluchant des pommes de terre...

Qui? Pourquoi? Comment?

La désolation et pourtant, des familles revivent là, en récupérant ce qu'ils ont trouvé de leurs meubles, mais s murs de la maisons ont disparu, des abris de fortune sont aménagés avec le reste des cendres... A nouveau il faut reconstruire, à nouveau il faut renaître de ses cendres et de ses souffrances. Est-ce que cela doit obliogatoirement faire partie des préoccupations majeures des jeunes adolescents libanais, des enfants innocents?

Et Bent Jbeil, dont on a tant parlé à la télé, et bien une fois la nuit tombée, on ne voit rien. Un trou noir, plus de maisons donc plus d'électricité, routes coupées et immeubles bombardés. Pire, criblés de balles, ce qui est la preuve que les israéleins sont entrés, on tué de leur main, en connaissance de cause. Quelle cause?

On veut se dire que c'est un cauchemar... mais non, c'est la réalité. Il y a quelques personnes qui tentent de rouvrir leur petite boutique épargnée entre les bombes, mais on croirait que ces épiceries ou magasins ne font que de la figuration. Le commerçant est assis sur sa chaise en attendant que les clients reviennent...

Revenir d'où?

Même le moindre signe de vie semble être juste une image, il n'y a plus d'âme, le temps s'est arrêté, de quoi vivent ces gens? Comment? Oubliés, délaissés...

Voici de bien tristes nouvelles, et pourtant bien réelles. C'est là qu'on réalise que notre réalité n'est pas celle des autres. Ce que l'on croit important semble tout à fait insignifiant pour certains, voire même indécent ou pire humiliant. Quant on dit que l'on a un problème de colocation alors que certains voudraient tellement avoir un toit... Nous sommes obligés de revenir dans la réalité de chaque personne que l'on rencontre, on ne peut pas rester sur notre nuage, pensant que la vie est la même partout.

C'est une grande leçon d'humilité que l'on devrait rencontrer plus souvent, afin de ne pas vivre dans notre bulle de verre, loin des cris de souffrances et de misère. De cette manière on relativise tous nos problèmes. Parfois on relativise tant que l'on peut perdre la tête et ne plus trouver de sens à sa vie quand on voit toutes ces horreurs.

Quel est le but de ces différences, de ces soufrances? Comment rester de marbre devant ça, et se dire "heureusement que dans quelques heures je rentre à la maison, qu'est-ce qu'il y a à dîner, au cinéma?" On ne peut plus penser comme ça après... Et c'est dur de revenir dans notre propre réalité, notre propre monde en ayant bonne conscience.